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10 janvier 2008 4 10 /01 /janvier /2008 19:59

Depuis sa prestation dans "We feed the world" Peter Brabeck fait partie du côté sombre de notre univers.
Il a un côté "aware" comme Jean-Claude Vandamme.
A part que les coups qu'il distribue font plus mal que ceux de JCV.

Peter-Brabeck.jpg


Peter était directeur de Nestlé Chili quand Salvador Allende a pris le pouvoir.

Salvador Allende voulait faire distribuer gratuitement du lait dans les écoles chiliennes.

Pas de bol. C'est Nestlé qui avait le monopole de la distribution du lait au Chili.

Peter a reçu un coup de fil de Vevey en Suisse, siège de Nestlé.

On lui a demandé de saboter cette ignoble initiative.

Certainement à la suite d'une intervention des Américains.

Peter, le doigt sur la couture du pantalon, a obtempéré sans rechigner.

Salvador et les petits chiliens l'ont eu dans le baba...

Ce qui s'est passé ensuite est encore moins drôle.

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Peter Brabeck est entré il y a près de quarante ans chez Nestlé, géant mondial de l'agroalimentaire. Vendeur de glaces à ses débuts, il a gravi les échelons de l'entreprise jusqu'aux postes de CEO et de président du conseil d'administration. Il défend le génie génétique et critique les biocarburants. Chez les Suisses, il apprécie la tolérance et l'ardeur au travail.

Daniel Huber: Vous venez de rentrer de déjeuner. Avez-vous reconnu les produits Nestlé qui étaient dans votre assiette?

Peter Brabeck: Absolument. En tant qu'ancien vendeur de glaces je suis très attentif aux marques. Elles constituent la force de notre entreprise.

Avec 8 000 marques et quelque 120 000 produits, cela ne doit pas être facile de s'y retrouver...

Lorsque la marque figure sur l'emballage du produit, c'est encore simple. Sinon, la tâche est plus difficile. Au cours d'une récente interview, on a placé devant moi six verres d'eau minérale, et il m'a fallu deviner de quelles marques il s'agissait.

Quel résultat avez-vous obtenu?

J'ai reconnu toutes les marques.

C'est étonnant. Quelle importance la nourriture a-t-elle pour vous?

Manger est pour chacun d'entre nous quelque chose de très convivial. La preuve, c'est que tous les grands événements de la vie - baptêmes, mariages, anniversaires - sont accompagnés d'un repas.



Des beautés de la privatisation :

Cuisinez-vous aussi vous-même?

Avec passion. Cuisiner est l'un de mes hobbies. Malheureusement, j'ai rarement le temps de m'y consacrer.

Quel genre de cuisine aimez-vous?

C'est comme pour la musique. Quand les gens me demandent: "Quelle musique aimez-vous?", je réponds: "N'importe laquelle, pourvu qu'elle soit bonne." En cuisine, c'est un peu pareil. J'adore la cuisine asiatique et la cuisine péruvienne, mais j'ai aussi beaucoup de plaisir à manger de temps en temps un émincé de veau à la zurichoise ou des knödel avec de la choucroute et du rôti de porc.

Pouvez-vous nous citer une spécialité du Pérou?

Le ceviche, par exemple, qui est une marinade de poisson cru, de jus de citron vert et d'oignon.

Ça a l'air bon...

Oui, c'est délicieux, en effet (rire).

Vous qualifieriez-vous de bon vivant?

Bien sûr, car je profite de la vie. Et pour pouvoir profiter de la vie, il faut bien manger. Une alimentation équilibrée et de qualité est aujourd'hui la clé de la santé et du bien-être.

Les produits biologiques gagnent de plus en plus de terrain en Europe comme aux Etats-Unis. Que pensez-vous de cette évolution?

Je n'ai rien contre les produits biologiques, mais je ne suis pas non plus un fanatique. L'agriculture biologique est un luxe qui n'est pas accessible à tous les pays du monde. Et elle présente aussi certains risques, car des produits cultivés avec des engrais naturels peuvent être hautement toxiques. D'où la nécessité de les préparer avec le plus grand soin, de les laver et de les désinfecter. Il y a déjà eu des décès liés à la consommation de produits biologiques. Cela dit, l'idée de manger une pomme ou une salade non traitée est évidemment très séduisante.

Si vous n'êtes pas totalement convaincu par l'agriculture biologique, vous êtes en revanche un partisan résolu du génie génétique. Dans ce domaine, cependant, la législation oblige votre entreprise à adopter une politique plus réservée que vous ne le souhaiteriez, du moins en Europe. Cela ne vous dérange-t-il pas?

Nous ne sommes ni progressistes ni réservés. Nous sommes tout simplement d'avis que le génie génétique a toujours existé. Si les hommes n'avaient pas essayé de manipuler les plantes pour leur propre usage, il n'y aurait pas de blé, pas d'avoine, rien de tout cela. N'importe quel jardinier qui fait des greffes de rosiers est en quelque sorte un manipulateur de gènes. Il est paradoxal de dire que nous misons uniquement sur la nature alors qu'on sait que n'importe quel animal est le résultat d'une manipulation génétique. La seule différence avec le passé, c'est que nous avons aujourd'hui la possibi- lité d'accélérer considérablement les processus.

Le génie génétique vise surtout à augmenter le rendement de l'agriculture. Mais la terre peut-elle produire assez pour nourrir toute l'humanité?

Jusqu'à récemment, je vous aurais répondu oui sans hésiter. Et puis sont venues toutes ces discussions sur les biocarburants. A présent, la réponse n'est plus aussi claire. Car si les projets des hommes politiques, surtout européens, étaient vraiment mis en oeuvre, nous serions en droit de nous demander si nous disposerions de suffisamment de terres agricoles. Personnellement, j'en doute. D'un côté, nous avons une population mondiale en constante augmentation: de 6,5 milliards d'habitants aujourd'hui, elle passera probablement à 8 milliards, voire 9 milliards d'ici à 2050. De l'autre, nous refusons des méthodes qui nous permettraient d'accroître le rendement des sols et nous réduisons même les terres agricoles pour cultiver des biocarburants. Cela ne peut pas marcher.


La quantité de maïs requise pour la production de biocarburants est-elle vraiment aussi importante?
Rien qu'aux Etats-Unis, elle s'élève aujourd'hui à 138 millions de tonnes.

Vous avez raison, c'est énorme.
Ce qui est préoccupant, c'est l'incidence sur les prix. Et pas seulement sur ceux du maïs. Pour vous donner un exemple, le prix de la tonne de lait en poudre est passé ces derniers mois de 1 900 à 5400 dollars. Selon moi, il y a trois raisons à cette flambée des prix des matières premières. Tout d'abord, l'évolution démographique. De plus en plus de gens, notamment en Asie, voient leurs conditions de vie s'améliorer. Ils ont davantage de moyens, ce qui leur permet de mieux se nourrir. Deuxième raison, la diminution des ressources en eau. L'Inde, qui a longtemps été un pays exportateur de blé, doit maintenant en importer à cause du manque d'eau. En Chine, la situation est similaire. Le niveau des nappes phréatiques baisse un peu plus chaque année, et il n'y a pas assez d'eau pour la culture de céréales. Enfin, le troisième problème est celui des biocar- burants, du double point de vue des terres agricoles et des besoins en eau. Il faut en effet 4650 litres d'eau pour produire un litre d'éthanol à partir de maïs. Cela n'est possible que parce que l'eau ne coûte rien.


Comment réagit Nestlé à la hausse des prix des matières premières?

Nous sommes moins touchés par ce renchérissement que les petits fabricants, car la force de nos marques nous permet de répercuter une partie des coûts supplémentaires sur les clients, ce qui ne fait que renforcer notre compétitivité.


Combien de personnes dépendent de Nestlé, directement ou indirectement?

Avant l'acquisition de Gerber, nous avions 265 000 employés directs. A présent, l'effectif devrait se situer entre 280 000 et 285 000 collaborateurs. Si l'on ajoute à cela les quelque 550 000 agriculteurs qui travaillent pour nous et tous ceux qui gèrent notre réseau de distribution, cela fait au total environ 1,2 million de personnes qui travaillent exclusivement avec Nestlé et pour Nestlé.


Comment gérez-vous le fait qu'une mauvaise décision de votre part peut avoir une influence directe sur la vie de 1,2 million de gens?

Je pense que nos décisions ont une influence sur quasiment tous les habitants du monde, puisque notre clientèle est partout. Nous vendons chaque jour environ 1,2 milliard de produits. Vous rendez-vous compte de ce que cela signifie? Je dis toujours que c'est cela la vraie démocratie. Car rien n'oblige nos clients à acheter des produits Nestlé. Chaque jour, ils décident librement, 1,2 milliard de fois, d'accorder ou non la préférence à l'un de nos produits. Et la somme de toutes ces décisions détermine notre succès.


J'ai déjà eu des discussions avec des Australiens, des Américains ou des Italiens, qui pensaient tous que Nestlé était un groupe australien, américain ou italien. Qu'en est-il réellement?

En ce qui concerne la perception de la marque par les consommateurs, nous voulons être très ancrés au niveau local. Nous sommes par exemple très fiers que les Allemands croient que Nestlé est une firme allemande. Cela s'explique par le fait qu'il existe un lien affectif très fort entre les consommateurs et les marques. Mais si vous demandez à des leaders d'opinion de quelle nationalité est Nestlé, ils vous diront certainement que c'est une société suisse. Ce qui, en fait, n'est plus le cas. La participation suisse s'élève aujourd'hui à environ 30%. Le reste est en mains étrangères.

Et combien de collaborateurs de Nestlé travaillent en Suisse?

En Suisse, Nestlé emploie quelque 8600 collaborateurs.


L'origine suisse de Nestlé se reflè­te-t-elle encore dans les principes directeurs ou les valeurs fondamentales du groupe?

Il y a effectivement certaines valeurs qui sont marquées par la Suisse. Pour moi, la plus importante est peut-être la tolérance. Au siège social de Vevey, nous avons 80 nationalités différentes, ce qui implique par exemple qu'un Arabe, un Indonésien et une Israélienne doivent pouvoir partager le même bureau et se tolérer mutuellement. La tolérance est une valeur primordiale, qui est certainement liée à la multiculturalité de la Suisse. Parmi les valeurs de notre entreprise figure également le goût du travail, et je crois que cela reflète aussi la mentalité des Suisses. A l'époque où certains partis politiques voulaient introduire la semaine des 35 heures, le peuple a été consulté par référendum. Et nous avons été très fiers que les Suisses disent: "Non, nous voulons travailler 42 heures." Résultat: nous avons construit en Suisse trois usines qui étaient destinées à la France et créé ainsi 600 emplois.


Vous êtes chez Nestlé depuis bientôt quarante ans. Quelle importance attachez-vous à la loyauté envers l'entreprise?

Chez Nestlé, les collaborateurs qui prennent leur retraite ont en moyenne plus de vingt-cinq ans d'ancienneté. La loyauté et l'engagement à long terme envers l'entreprise ne sont donc pas de vains mots pour nous. Et il va de soi que l'entreprise fait preuve de la même loyauté à l'égard de ses collaborateurs.


Dans un article, un journaliste de Time Magazine vous a qualifié d'homme ambitieux, prudent et déterminé. Quelles autres qualités vous attribueriez-vous?

Je ne sais pas d'où ce journaliste tient ses informations. En tout cas, je ne suis pas d'accord avec lui. Je ne me considère pas comme quelqu'un d'ambitieux. J'aime réaliser des projets, mettre en oeuvre des changements. C'est ainsi que nous avons réussi à faire de Nestlé, qui était au départ une société de produits alimentaires, un leader mondial dans les domaines de la nutrition, de la santé et du bien-être.


Avez-vous un modèle en matière de style de direction?

A ce sujet, j'ai assisté récemment à quelque chose de très intéressant. C'était lors de la Coupe de l'America. Une fois le départ donné, le manager de l'équipe néo-zélandaise a mis son micro de côté et n'a plus rien dit pendant toute la course. L'équipe n'avait pas besoin d'instructions pour savoir ce qu'elle devait faire. Avant la course, le manager avait fixé la stratégie avec son équipe, mais ensuite il n'est plus intervenu. Ce n'est qu'à l'arrivée qu'il a repris le micro pour l'analyse de la course. Chez un groupe mondial comme Nestlé, c'est un peu la même chose. Pourquoi irais-je me mêler des décisions concernant nos sites aux Etats-Unis ou en Chine? Il faut faire entièrement confiance aux équipes qui travaillent sur place et les soutenir le mieux possible.


Passons à l'un de vos loisirs, l'alpinisme. Vous avez déjà fait l'ascension de la montagne la plus connue de Suisse, le Cervin. Y a-t-il d'autres sommets alpins que vous aimeriez gravir un jour ?

En plus du Cervin, il y a eu le Jungfrau, le Monte Rosa, le Breithorn et le mont Blanc. Mais la Dent Blanche se trouve depuis longtemps sur ma liste...

Ces courses de haute montagne ne sont pas de tout repos. Elles exigent une excellente condition physique.
C'est l'une des raisons qui m'ont incité à me freiner un peu.

Avec chaque année qui passe, il faut fournir plus d'efforts. Mon autre passion, pilote de glacier, est aussi un sport où il faut être à la hauteur, sur le plan tant physique que mental.

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Peter Brabeck-Letmathe est né en 1944 à Villach, en Autriche. En 1968, après des études de commerce international à la Hochschule für Welthandel de Vienne, il entre chez Nestlé, où il travaille d'abord comme vendeur de glaces auprès de l'ancienne filiale Jopa-Findus. De 1970 à 1987, il assume diverses fonctions de direction au Chili, en Equateur et au Venezuela. Puis il rejoint le siège social du groupe Nestlé à Vevey. Cinq ans plus tard, il est nommé au sein du directoire de Nestlé S.A. Il devient Chief Executive Officer (CEO) de l'entreprise en juin 1997 et entre également au conseil d'administration. En avril 2005, il est élu pré­sident du conseil d'administration, poste qu'il occupe parallèlement à celui de CEO. Il quittera probablement ses fonctions de CEO lors de l'assemblée générale du 10 avril 2008. Peter Brabeck est marié et père de trois enfants adultes. Pendant ses loisirs, il laisse libre cours à sa passion de l'aventure: il est alpiniste, pilote de glacier et conducteur de Harley Davidson

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